Il y a des sujets qu’on pense connaître… jusqu’à ce qu’on les vive vraiment. Et la libido des femmes en fait clairement partie.
J’ai eu envie d’écrire cet article avec Joane, sexothérapeute, parce que c’est un sujet qui, depuis des années, traverse mes accompagnements, mes retraites, mes cercles de femmes, et… ma propre vie de femme. J’avais envie d’en parler autrement. De sortir des clichés, des injonctions, des “il faut” et des “c’est normal” ou ça l'est pas ! Et surtout, de remettre un peu d’humanité et de simplicité dans tout ça.
Parce qu’à travers les partages de femmes que j’accompagne et ma vie de femme, j’ai découvert à quel point ce sujet est chargé : croyances, peurs, honte, culpabilité, comparaison. Et moi la première, j’ai dû déconstruire tout un paquet d’idées reçues sur la libido féminine, sur ce qu’elle “devrait” être, sur ce qu’elle “devrait dire” de moi, de mon couple, de mon corps, de ma valeur.
Et puis, dans les retraites, dans les discussions entre femmes, il y a une chose qui m’a marquée :
contrairement à la croyance populaire, tous les hommes n’ont pas forcément plus envie que leurs compagnes. Et non, toutes les femmes ne sont pas celles qui “ont mal à la tête”.
Dans beaucoup de couples, c’est parfois l’inverse. C’est la femme qui a du désir, de l’élan, une pulsion de vie… et lui, moins. Et ce décalage, souvent vécu comme un tabou, vient bousculer tout un système de croyances sur la sexualité et sur la place de chacun.

Je vis en couple depuis presque vingt ans. Autant dire que la sexualité, je l’ai vue traverser toutes les saisons : l’été brûlant, l’automne tendre, l’hiver silencieux, et le printemps curieux. J’ai connu les phases d’élan, de fatigue, de déséquilibre, de complicité retrouvée. Et j’ai appris, souvent dans l'inconfort, que la libido dans le couple n’est pas une ligne droite, mais une danse.
Alors j’ai eu envie qu’on écrive cet article à deux voix — moi, avec mon vécu de femme, de compagne, de coach qui entend les histoires intimes des femmes ; et Joane, avec son regard de sexothérapeute, son expérience de terrain et sa compréhension fine des mécanismes du désir.
L’idée n’est pas d’avoir “la vérité” sur la libido des femmes, mais d’ouvrir un espace de réflexion, d’apaisement et peut-être… de réconciliation. Réconciliation avec son corps, son rythme, ses envies, et cette évidence qu’un couple ne se résume pas à sa fréquence sexuelle.
Je suis très heureuse de partager ici un dialogue sincère entre la femme que je suis et la professionnelle qu’est Joane, pour offrir à toutes celles qui liront ces lignes une autre manière de regarder la libido des femmes — ni comme un problème, ni comme une performance, mais comme une invitation à se rencontrer, autrement.
Le regard et les transmissions de Joane
D’où viennent ces croyances que “les hommes ont toujours envie” et “les femmes doivent suivre” ?
Du modèle patriarcal bien sûr ! Où la sexualité servait plus à définir les rôles qu’à nourrir le lien. L’homme devait “performer”, montrer sa puissance, la femme juste suivre, sans même la notion de consentement. Ces scripts sont encore très présents dans nos imaginaires, même si on croit y avoir échappé.
Comment ces croyances impactent la vie intime des couples aujourd’hui ?
Elles créent de la pression, de la honte et beaucoup de malentendus. Chacun se compare à une norme qui n’existe pas, au lieu d’écouter son propre besoin et celui de l'autre.
Quand une femme a plus de désir que son compagnon ?
Elle se sent souvent “trop”, inadéquate, honteuse ou non désirée, alors qu’elle est juste vivante et connectée à son corps. Cela peut réveiller des blessures de rejet.
Et chez un homme, quand il a moins envie ?
C'est souvent vécu comme une atteinte à sa virilité. Beaucoup se referment par peur d’être jugés ou d’échouer. En réalité, c’est souvent un signal d’épuisement, de charge mentale ou de déconnexion émotionnelle, pas une “panne de désir”.
Pourquoi associer libido et preuve d’amour ?
Parce qu’on a longtemps confondu “désirer” et “ montrer son amour”. Le désir fluctue, l’amour se tisse et se démontre de beaucoup de manières différentes. Cela dépend aussi des personnes et de leur « porte d'entrée » pour un moment de sexualité.
Un couple sans sexualité est-il forcément en danger ?
Pas forcément. Ce qui met un couple en danger, c’est le silence, pas l’absence de rapport. Tant que la tendresse, la complicité et la parole circulent, le lien peut rester très vivant. En tant que sexo je crois que dans la majorité des cas les couples épanouis sans sexualité sont rares.
Le partage d'Emmanuelle
J’en entends des choses, dans les cercles de femmes. Des confidences lourdes de honte et de culpabilité qui tournent toujours autour de la même chose : la libido des femmes. On nous a tellement formatées à croire qu’il existe une “bonne” sexualité, une “bonne” manière d’aimer, une “bonne” dose de désir…
Pendant un Week-end Temps de Pause, une participante a lâché :
“Depuis la naissance de notre deuxième enfant, j’ai moins envie que mon mari… alors je me force. C’est mon devoir, sinon il va me tromper.”
Cette phrase dit la pression silencieuse qui pèse sur les femmes et l’illusion que la fréquence sexuelle mesurerait la santé du couple. Elle raconte la peur d’être abandonnée ou remplacée, et surtout l’idée que le corps des femmes appartient d’abord au couple avant de leur appartenir.
Et puis il y a mes propres croyances, celles qui, parfois, viennent encore me chatouiller quand une baisse de désir s’invite :
“S’il ne me désire plus, il m’aime moins.”
“S’il ne me touche pas, il me trompe.”
“Si je ne me trouve pas belle, je ne peux pas avoir envie — ni être désirée.”
“Si j’ai envie et pas lui, c’est que je suis trop.”
J’ai passé des années à tenter de “réparer” ce qui n’était pas cassé, à me croire responsable du feu, de la flamme, de la preuve d’être “désirable”. Qu’il ait plus envie que moi, ou l’inverse, je me mettais en mission sauvetage.

Après mon hystérectomie, une autre question m’a percutée :
“Est-ce que j’ai le droit de kiffer ma sexualité juste pour le plaisir, alors que je suis stérile ?”
Ça renvoyait en plein cœur le vieux scénario culturel : la femme-mère ou la femme-objet. Marie ou Marie-Madeleine. La sainte ou la pécheresse. Comme si nos corps devaient servir ou être punis — jamais célébrés.
Déconstruire ces croyances, c’est un vrai travail de libération. Elles ne sont pas que dans la tête ; elles sont dans les chairs, les lignées, les réflexes. Tant qu’on ne les regarde pas, elles nous enferment.
Aujourd’hui, en tant que femme, mère et coach thérapeute, je revendique notre droit — et même notre devoir — de réécrire nos règles sexuelles, pour nous et dans le couple. Redéfinir ce que signifie la sexualité à chaque étape : jeune femme, mère, ménopausée, blessée, amoureuse, libre. La libido des femmes n’est ni fixe ni un curseur de performance. C’est une boussole vivante, liée à notre liberté intérieure. Oui, c’est inconfortable de déconstruire. Mais c’est ce qui rend vraiment libres : on reprend le pouvoir sur notre corps, notre désir.
Le regard et les transmissions de Joane
Qu’est-ce qui influence la libido d’une femme ? Et celle d’un homme ?
Chez les deux, c’est un mélange d’hormones, d’émotions, de contexte, de sécurité intérieure... Ce qui différencie les personnes sur ce plan ce n'est pas la génétique homme/femme c'est la « porte d'entrée ». Des personnes auront besoin de beaucoup d'attention pour nourrir l'émotionnel, d'autres auront besoin de concret pour apaiser le mental, d'autres encore de toucher pour satisfaire le besoin de sensualité...
Les cycles hormonaux, la charge mentale, les émotions jouent-ils un rôle ?
Une femme sous tension, fatiguée ou frustrée émotionnellement n’a plus d’espace intérieur pour le désir. Chez l’homme aussi, le stress chronique peut éteindre la libido. On en revient aux langages de l'amour ou porte d'entrée de la sexualité. Pour le cycle hormonal c'est autre chose, là il s'agit d'un désir du cerveau primitif qui dit « il est temps de concevoir ».
Dans les couples de longue durée, quels cycles observes-tu ?
Dans l'idéal : phases de calme puis de redécouverte… comme des saisons. Les couples durables acceptent ces mouvements au lieu d’aller chercher l'herbe plus verte ailleurs.
Le regard et les transmissions de Joane
Pourquoi le déséquilibre touche à des enjeux plus profonds ?
Le déséquilibre de désir vient souvent réveiller des déséquilibres relationnels : charge mentale, fatigue, non-dits, ressentiment. Ce n’est pas seulement une question de libido, mais de connexion. Quand le lien se tend, le corps suit.
Comment la dynamique de pouvoir ou les rôles genrés perturbent-ils le désir ?
A parti du moment où on essaie de se conformer au rôle que nous a attribué la société on n'est pas à l'écoute de ses propres besoins, on agit contre notre volonté et au final on éteint notre désir.
Y a-t-il une pression à être toujours disponible ?
Oui cette injonction abîme la connexion à soi et à l'autre et transforme la sexualité en devoir.
Qu’est-ce que le désir dit de nous ?
Il dit notre vitalité, notre besoin de lien. Le désir est rarement éteint. Sauf si on n'est mort ou en dépression. Sinon les autre ont forcément envie de quelque chose.
Le partage d'Emmanuelle
Vingt ans de vie de couple m’ont appris une chose : la libido — la mienne comme la sienne — n’est pas linéaire. C’est une danse. Une respiration. Des vagues, des creux, des feux, des accalmies.
Au début, c’était le brasier. Puis la vie s’est installée : emménagement, vie de famille. J’étais déjà maman de deux enfants quand David et moi avons vécu ensemble. Plus tard, Joan est arrivé : grossesse, naissance, nuits hachées, manque de temps et d’espace. David, devenu père pour la première fois, m’a inconsciemment vue “comme la mère de son enfant”. Dans son imaginaire, on ne fait pas des choses “pas très morales” avec une mère. Il a fallu en parler, déconstruire, réaffirmer que j’étais à la fois mère, femme, amante, complice.

De mon côté, j’ai traversé des phases où je ne me sentais pas bien dans mon corps : fatigue, kilos, image brouillée. J’avais collé désir et apparence comme s’ils étaient indissociables.
Il y a eu des périodes de feu, puis des silences. Des week-ends à quatre fois, et des mois entiers sans rien. Rien d’anormal : tout évolue. La charge mentale, la santé, les transitions pro, les enfants qui dorment à côté… ou les ados qui circulent à toute heure — tout ça impacte le rythme et l’envie.
Aujourd’hui, à 45 ans, je vis ma sexualité autrement. Périménopause, opération, stérilité… et paradoxalement plus de liberté. Libérée du risque de grossesse, du devoir, du regard des autres. Je connais mon corps, je sais ce que j’aime et ce que je ne veux plus. La sexualité n’est plus un “il faut” conjugal : c’est un espace de vie, de plaisir, de puissance et de ressourcement. Un moment sacré, un terrain de jeu et de vérité.
La maturité d’un couple, pour moi, c’est accepter que rien n’est figé. Pas de “bonne” fréquence ni de modèle unique : juste deux vivants qui dansent au rythme de leurs saisons. Comprendre la libido des femmes, c’est accepter le mouvement, arrêter de se comparer, cesser de courir après “comme avant”. La seule vraie question est simple : qu’est-ce que j’ai envie de vivre, là, maintenant, dans mon corps, dans mon lien, dans ma vie ? La sexualité n’est pas une jauge de réussite : c’est une expression du vivant. Et le vivant s’apprivoise.
Le regard et les transmissions de Joane
Quand il y a un décalage, par quoi commencer ?
Par se reconnecter à soi avant d’aller vers l’autre. Savoir ce dont on a besoin, envie. Connaitre la façon dont on désire, dans quelles conditions, pourquoi, comment...
Comment poser une parole juste ?
En parlant de soi, pas de l’autre. “Je me sens éloignée” ouvre la discussion, “tu ne me désires plus” la referme.
Que faire quand la discussion devient trop chargée ?
Ne pas hésiter à demander de l'aide...
Quelle place pour la tendresse ?
Cela dépend des personnes ! L'adaptation individuelle est essentielle.
Le regard et les transmissions de Joane
Quelles pratiques peuvent aider à renouer avec le désir ?
Tout ce qui ramène au corps sans pression : respiration, auto-massage, danse, méditations. Le corps a besoin d’être écouté avant d’être touché. Et bien sûr je suggère la communication avec un.e thérapeute qui amène souvent à l'auto compréhension.
Quelle place pour le travail individuel ?
Primordiale. Retrouver son propre désir, c’est d’abord s’autoriser à ressentir pour soi, pas pour plaire.
Comment éviter le “je dois retrouver ma libido” ?
En changeant le “je dois” en “j’ai envie de”, si c'est le cas. Le désir ne se force pas, il s'apprivoise, se comprend, s'entretient.
Existe-t-il un nouveau modèle de sexualité de couple ?
Oui, plusieurs même !
Que retenir avant tout ?
Le désir est l'anticipation du plaisir et de la joie (margot fried fillozat). Il n'existe que si on sait que ce qu'on s’apprête à vivre va nous apporter du plaisir et de la joie.
Le désir est entretenu par différentes manières suivant les individus. L'idée c’est d’apprendre à l’écouter sans se juger et à le communiquer. Et surtout comprendre que ce qui entretient notre propre désir n'est pas forcément ce qui fonctionne aussi chez notre partenaire...
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Le partage d'Emmanuelle
Quand la libido ne se rencontre plus, la première clé n’est pas le sexe : c’est la communication — la vraie. Dire je, parler de soi, pas accuser. J’ai appris que communiquer, c’est se responsabiliser : sortir de “c’est sa faute”, “il est trop”, “elle est distante”. Le couple est un espace de co-création : deux histoires, deux éducations, deux corps, deux émotions qui apprennent à danser. Ce n’est pas 1+1=2, c’est 1+1=3 : toi, moi, et l’entité couple… qui n’existe que si chacun reste entier.
Parler de sexualité, c’est parler de soi : envies, limites, blessures, hontes parfois. Dire :
“J’aime quand tu fais ça.”
“Là, j’ai besoin de douceur.”
“Plus lent.” “Plus fort.”
Et aussi : “Aujourd’hui, je n’ai pas envie, mais j’ai envie d’être avec toi autrement.”
Cette parole déborde la chambre. Ce qui se joue au travail, en famille, dans la santé, traverse l’intime. Si on ne se raconte pas la vie, comment se comprendre ? Un couple qui dure se parle comme deux meilleurs amis.
Se responsabiliser, c’est aussi déminer ses croyances : arrêter de se traiter de “trop” ou de “pas assez”. Poser ses limites. Ne pas se contraindre par devoir, ne pas exiger la disponibilité “par amour”. L’amour n’est pas un dû, c’est un espace de liberté partagée.

Autre chantier : la performance. Cette idée qu’un rapport réussi finit forcément par un orgasme et passe impérativement par la pénétration. Je le répète souvent dans mes espaces femmes : un rapport ne se termine pas à l’éjaculation de monsieur et ne commence pas seulement à la pénétration. Il peut être fait de respirations, de caresses, de regards, de rires, de silences. Ce qui compte, c’est l’intention, pas le tableau de bord.
Être créatif, enfin. Pas “jouer un rôle”, mais nourrir autrement ce que la sexualité vient nourrir. Quand l’un n’a pas envie, je me demande : de quoi j’ai vraiment besoin là, tout de suite ? Tendresse, connexion, lâcher-prise, sécurité, créativité… Comment le nourrir autrement pour ne pas tout faire reposer sur le sexe ? Un massage, une balade, une sieste partagée, un fou rire : c’est déjà de l’intimité. C’est aussi de la sexualité — au sens large, libre et conscient.
Le couple est un miroir. Il ne comble pas, il révèle. Souvent, la libido (des femmes comme des hommes) montre où l’on n’est pas aligné avec soi. C’est exigeant : honnêteté, humilité, remise en question sans auto-flagellation. Mais c’est la beauté du lien : grandir ensemble, se découvrir autrement, avancer côte à côte plutôt que s’accuser face à face.
Au fond, tout ramène à trois verbes : se parler, s’écouter, se choisir. Pas pour être un couple parfait — pour être deux vivants qui osent inventer leur façon d’aimer, libre, consciente, vibrante.
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